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MME DE SÉVIGNÉ ET LES GRIGNAN (III)






    Une dette en constante augmentation

    La présence de la comtesse à Paris à la date des divers règlements, sauf un, explique que les lettres ne mentionnent que celui de mai 1680, qui eut lieu pendant un de ses séjours en Provence et nécessita l'intervention de Mme de Sévigné et du " Bien Bon ". Dès octobre 1679, en effet, l'abbé de Coulanges a une conversation avec Chupin de laquelle il conclut, aux dires de la marquise, que la comtesse doit moins qu'elle ne croit. Il la prie, en novembre, d'envoyer des mémoires, affirmant qu'il enverra alors " sans nulle difficulté la quittance de M. Chupin ". Il les lui demande encore en janvier 1680 " pour compter avec M. Chupin et [...] envoyer [la] quittance ". Il ne l'obtint que le 5 mai, juste avant de partir en Bretagne avec sa nièce.

    Le compte de tutelle reprend le sommaire des mémoires réclamés alors par l'abbé, et fournit un bon exemple de ces frais que Mme de Sévigné avait cru capables d'absorber la quasi-totalité des intérêts annuels dus par Grignan à ses filles. Chupin porte en effet en dépense la somme de 6 737 livres, montant de la quittance donnée le 5 mai 1680 à la marquise de Sévigné . Il compensait par là la pension des deux jeunes filles et de leurs domestiques depuis janvier 1678 jusqu'en septembre 1679, leurs frais de maladie, le louage d'un carrosse pour leur retour de Reims à Paris, les dépenses de leur voyage de Paris à Aix, le port et voiture de leurs hardes, et l'entretien de quatre domestiques des demoiselles en Provence. La quittance, qui correspondait à des frais étalés sur plus de deux ans, n'acquittait le comte que d'une année d'intérêts .

    La présence des demoiselles de Grignan aux côtés de leur père ne suffit donc pas à rendre facile le paiement de ce qu'on leur devait annuellement. Elle n'apporta au comte qu'un soulagement très partiel et n'empêcha même pas la dette de se gonfler encore. Du 1er juillet 1675 au 31 décembre 1683, Grignan aurait dû payer 63 481 livres au titre de la rente annuelle promise en 1675. En fait, il ne fut crédité que 26 181 livres, ce qui accrut de 37 300 livres les arrérages impayés.

    Ce bilan reste encore optimiste, car Grignan profita des bons rapports financiers qu'il entretenait désormais avec ses filles et leur tuteur pour s'adresser à eux dans ses besoins d'argent. Maintenant que la transaction de 1675 apportait de bonnes garanties de remboursement, il n'y avait pas de raison de ne pas lui accorder des emprunts, moyennant de fructueuses constitutions de rente à 5 %. Et c'est ainsi que le comte emprunta à Chupin, comme tuteur de ses filles, 4 000 livres, puis 5 000, les 11 et 31 mars 1677, et 3 000 le 23 avril 1681. Il reçut aussi, moyennant promesse de remboursement, 1 500 livres le 16 avril 1681 et, de Louise-Catherine seule, 4 000 livres en deux billets les 28 juin 1681 et 16 janvier 1682 . Si bien qu'il se trouva finalement devoir à ses filles 17 500 livres supplémentaires.

    Le poids des " vieux péchés "

    Sauf pour les 5 500 livres de billets, il ne s'agissait pas d'un accroissement de sa dette globale. Les 3 000 livres reçues en avril 1681 servirent à rembourser B. de Tongas, cessionnaire de Mirepoix. Les deux emprunts de 1671 furent de la même façon employés à payer 4 000 livres pour la légitime du chevalier de Grignan, 1 000 pour celle de son frère 1'abbé , et 4 000 pour éteindre une dette qui remontait au 6 juillet 1662. En décembre 1675, Mme de Sévigné déplorait ces anciennes dettes : " Pour Jabach nous en sommes désolés, quelle sotte découverte, et que les vieux péchés sont désagréables ! " C'était un vieux péché en effet, puisque la créance, remontant à treize ans, avait été oubliée, à preuve que personne n'en parle dans la transaction de 1675 qui énumère les emprunts contractés solidairement par le comte et Angélique-Clarisse . Peut-être en janvier 1676 la comtesse a-t-elle fait part à sa mère de son dessein d'emprunter aux demoiselles de Grignan quand celle-ci lui répond : " Le " Bien Bon " approuve tout ce que vous avez résolu pour contenter ce diable de Jabach : que peut-on faire dans ces ridicules occasions ? " Mais entre ce projet et sa réalisation en mars 1677, il s'écoula tant de temps que lorsqu'on paya à Jabach les " quatre mille livres de Chupin ", l'abbé " avait oublié ce nom " .

    Le comte de Grignan et sa femme, désormais largement solidaires, étaient, on le voit, prisonniers des dettes et des charges héritées du passé. Tandis que l'on s'efforçait de payer, au moins en partie, les arrérages dus aux filles du premier lit à l'aide de leur pension et des frais d'entretien, on était bien aise de les prendre pour créancières et d'accroître davantage encore le total de ce qu'on leur devait. En usant de cet expédient pour parer au plus pressé, on ne faisait que différer une échéance qui pèserait d'autant plus lourdement le jour où, avec le problème de leur établissement, se poserait celui de leur remboursement.

    Roger Duchêne