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Un fils mort
La contestation provenait de ce que Marie-Angélique avait eu un fils qui lui avait survécu. Mme de Mirepoix prétendait en conséquence hériter de Louis-Adhémar, son neveu, à l'exclusion de Mme du Puy du Fou, sa grand-mère, " attendu que par la coutume de Paris propre héritage ne remonte ". À l'en croire, la clause d'exception introduite au contrat et prévoyant, en cas de décès, la réversion à Pierre de Bellièvre de l'argent fourni par lui était " demeurée caduque, ladite Marie-Angélique du Puy du Fou ayant laissé un enfant "; d'où il résultait que les 75 000 livres payées par Pierre de Bellièvre appartenaient aussi à l'héritage de Louis-Adhémar et revenaient par conséquent à sa tante Madeleine. A quoi Mme du Puy du Fou, répliquait que " la somme de 120 000 livres ne [pouvait] être considérée comme un véritable bien propre [...], n'étant qu'un propre fictif et conventionnel, qui n'est réputé tel qu'à l'exclusion du mari et de ceux de sa lignée seulement ". Elle arguait de " l'exception portée par l'article 315 de la coutume de Paris " selon lequel " si le fils fait acquisition d'héritages ou autres biens immeubles, et il décède délaissant à son enfant lesdits héritages ; et ledit enfant décède après sans enfants et descendants de lui, et sans frères et soeurs, l'aïeul ou aïeule succèdent auxdits héritages en pleine propriété, et excluent tous autres collatéraux ".
Mais était-on dans ce cas ? ou dans celui d'appliquer l'article 312 qu'invoquaient les Mirepoix : " En succession en ligne directe, propre héritage ne remonte : et n'y succèdent les père, mère, aïeul ou aïeule " ? Cette querelle de famille entre Mme du Puy du Fou et son frère d'une part, sa fille et son gendre de l'autre, n'aurait pas dû intéresser François de Grignan puisque, de toute façon, la somme à rembourser restait la même. Mais les Mirepoix l'avaient mis en cause en taxant de nullité le paiement qu'il avait effectué en janvier 1669 et en obtenant contre lui la sentence de 1673. Ce qui avait obligé Grignan à faire à son tour appel contre Pierre de Bellièvre et Mme du Puy du Fou, exigeant, puisqu'il avait reçu d'eux quittance de 110 377 livres au titre de la dot de sa seconde femme, qu'ils fissent cesser la demande de Mirepoix et de sa femme, ou que leur fût payé en son acquit ce qu'il avait versé à ce titre.
Comment ne pas payer deux fois ?
L'affaire en était là quand, à la fin de mai 1675, Grignan rejoignit la Provence, après avoir donné le 23 procuration à Christophe de Coulanges pour s'occuper du procès pendant au parlement de Paris. Le même départ qui avait rendu nécessaire cette procuration entraîna la reprise de la correspondance entre Mme de Sévigné et sa fille, qui avait suivi son mari. Aussi les lettres de cette période mentionnent-elles fréquemment l'affaire Mirepoix. Mais parce que les deux femmes en connaissaient la nature et l'importance, l'épistolière parle le plus souvent par allusions, incompréhensibles par elles-mêmes. Gérard-Gailly, dans la première édition des lettres à la Bibliothèque de la Pléiade, croyait pouvoir la résumer ainsi : " Par son mariage [...] avec Mlle du Puy du Fou, M. de Grignan était le beau-neveu de Bellièvre et le beau-frère de Mirepoix. Une affaire de succession et un procès avaient brouillé tout ce monde. M. de Grignan, n'ayant pas eu d'enfant de ce second mariage, devait restituer la dot qu'il avait reçue. Sans doute ne le voulait-il pas, parce qu'il ne le pouvait plus. Finalement une transaction était intervenue. Mais le beau-frère Mirepoix, après adhésion, ne voulait plus l'exécuter. Mme du Puy du Fou, ex-belle-mère de Grignan, essayait d'arranger les choses. " Grignan avait au contraire remboursé la quasi totalité de la dot de Marie-Angélique du Puy du Fou, et la question de savoir à qui il aurait dû le faire venait de ce qu'il avait eu un fils de sa seconde épouse.
Pour Grignan, il s'agissait donc de se faire acquitter de ce qu'il avait payé. Il y avait deux moyens d'y parvenir : un jugement déciderait à qui, de Bellièvre ou de Mirepoix, devait revenir l'argent versé, ou bien Mirepoix renoncerait de lui-même à exiger du comte ce que celui-ci avait déjà donné. On avait d'abord penché pour la première solution. Dans sa lettre du 12 juin 1675, Mme de Sévigné se plaint que les vacances du Palais retardent la conclusion des affaires en cours. Mais un contretemps provint de Bellièvre, qui renonça à faire juger la cause pour le moment. L'épistolière s'en indigne le 3 juillet : " Je suis piquée, ma bonne, contre M. de Bellièvre : il y a une mauvaise foi dans leur procédé qui m'échauffe. Je ne sais sur quel nez cela tombe, car celui de Mirepoix en vaut bien un autre. Enfin, il y a un fil de manque. Nous étions sur le point d'avoir un arrêt, tout était d'accord. Ils feignent que des créanciers s'élèvent et ne veulent pas d'un arrêt qu'ils avaient voulu, et [disent] qu'ils craignent l'éclat "
Les " sûretés " inquiètes d'une précédente belle-mère
La suite des événements montra que les créanciers n'étaient pas imaginaires, puisque leurs exigences provoquèrent la faillite de Bellièvre. Le 19 août, Mme de Sévigné annonce l'événement à sa fille : " Le Bellièvre a enfin abandonné tout son bien à ses créanciers : la démission en fut signée avant-hier. C'est un étonnement général ; c'est une banqueroute, car ils n'ont pas à cent mille écus près de quoi tout payer. Ils ne sentaient point du tout qu'ils fussent ruinés [...]. Quelle honte ! Ils ne la sentent pas ". Et de Nantes, le 24 septembre, elle se fait 1'écho de ce qu'on dit à Paris : " M. de Coulanges me mande d'étranges bruits de M. de Bellièvre et de Mirepoix pour couper la gorge aux créanciers : ce serait une bonne forêt que ce benoît hôtel de Bellièvre, si cela était vrai ". On comprend, dans ces conditions, que ces deux personnages aient renoncé à faire juger leur affaire, " les parties ne désirant pas pour des raisons particulières de famille décider quant à présent le sujet dudit procès ".
Le procès différé, restait la seconde solution, mettre volontairement Grignan hors de cause. C'est ce que souhaitait Mme de Sévigné. Aussitôt après avoir annoncé le changement d'attitude de Bellièvre, elle enchaîne en effet : " Nous verrons s'ils nous refuseront les sûretés qui ne dépendent que d'eux et de leur famille ". Quoiqu'elle n'ait, dans ce qui précédait, nommé que l'un des deux personnages, " ils ", ce sont assurément Bellièvre et Mme du Puy du Fou ; " leur famille ", Mme de Mirepoix et son mari. Les premiers ne tardèrent pas à donner " les sûretés " qu'on attendait d'eux. Le 12 juillet 1675, l'épistolière rapporte la visite que Mme du Puy du Fou lui a faite en secret, " toute tremblante et toute fondue en larmes " pour offrir de " signer aujourd'hui un acte pour notre sûreté, autant qu'elle le peut donner ".
" Sa conscience, son honneur et son amitié "
On peut lire cet acte parmi les minutes de Chupin. Madeleine de Bellièvre, veuve de Gabriel du Puy du Fou, y déclare qu'à sa requête, le marquis de Mirepoix son gendre, époux de Madeleine du Puy du Fou, héritière de feu François-Adhémar de Grignan son neveu, s'est désisté de la demande qu'il avait faite par exploit du 21 avril 1670 et de la sentence donnée à son profit le 21 février 1673. En considération de ce désistement, Mme du Puy du Fou renonçait aux droits qu'elle pouvait avoir sur la somme de 35 377 livres qu'elle avait touchée du comte de Grignan et à toute prétention sur celle de 76 000 livres reçue par Pierre de Bellièvre, son frère, pour en faire don aux sieur et dame de Mirepoix. Elle cédait également ses droits sur 9 622 des 29 622 livres encore dues, complétant ainsi les 120 000 livres attribuées à sa fille par la sentence de 1673 et ne se réservant que les 20 000 livres qui avaient toujours été hors de contestation.
Mme de Sévigné souligne l'importance de ce geste : " C'est beaucoup, écrit-elle, car on croit que l'argent lui appartient. Sa conscience, son honneur et l'amitié qu'elle a pour M. de Grignan l'ont enfin forcée à faire cette démarche. " C'était assurément beaucoup de la part de Mme du Puy du Fou que d'avoir, par cette donation, renoncé d'avance au profit que lui aurait apporté un jugement favorable qui, au dire de Mme de Sévigné, était probable. Le même jour, devant le même notaire, Bellièvre passait également un acte destiné à donner des " sûretés " aux Grignan, déclarant qu'il " voulait bien " que le comte payât au marquis de Mirepoix " les 9 622 livres [restant dues sur la dot] appartenant auxdits seigneur et dame de Mirepoix en qualité d'héritiers de défunt Louis-Adhémar de Grignan leur neveu ", avec les intérêts échus. C'était là, bien évidemment, verser dans les pièces du procès des documents qui, s'ils venaient à être exhibés et connus de Mirepoix, préjugeraient fortement en sa faveur. En leur reconnaissant la qualité d'héritiers de leur neveu et en leur cédant les sommes en contestation, Mme du Puy du Fou et son frère donnaient d'avance gain de cause à leurs adversaires.
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