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La colère de Mme de Sévigné
Dès le revirement de Mirepoix, elle a pris la situation très à coeur. " Nous allons plaider pour avoir la ratification, déclare-t-elle le 19 août. N'ayez aucun soin de cette affaire ; c'est la mienne et plus que la mienne. " C'est pourquoi, en écrivant, elle s'échauffe et laisse déborder une verve satirique, rare à ce point dans les lettres, en général contre les adversaires de sa fille. Elle n'épargne pas même Mme du Puy du Fou, qui venait pourtant par " honneur " et " conscience " de consentir à signer l'acte du 12 juillet, si favorable à Grignan. " La Puy du Fou ne fait pas ce qu'elle pourrait faire ; si elle donnait à M. de Grignan les 10 000 écus en cas que la ratification manque, elle le hâterait bien d'aller, mais elle bobillonne et pleure et ne résout rien ".
Et dans la lettre suivante : " Je ne suis nullement contente de la Puy du Fou ; si elle aimait M. de Grignan, elle aurait tout fini, et nous avons vu que ce qu'elle fit l'autre jour n'était que l'effet de la rage où elle était contre le Mirepoix, qui l'avait pressurée par vingt signatures Quand elle est à son naturel, elle est incapable d'aucune bonne résolution. " À tout ce qu'on lui dit " on ne sait seulement ce qu'elle répond ; elle va regarder aux portes si on ne l'écoute point, et quand elle voit qu'il n'y a personne, elle n'en dit pas davantage. C'est une misérable. On ne parle que des dissipations de cette maison, depuis les plus grandes jusques aux plus petites choses. Sottes gens, sotte besogne : il faut en revenir là. "
L'attitude de Mme du Puy du Fou est saisie sur le vif. Avec ses allées et venues inutiles, elle tourne en rond sans avancer, et Mme de Sévigné, peut-être à partir de la bobille, cylindre tournant des fabricants d'épingles, invente le verbe bobillonner, à la sonorité expressive. Malgré les liens cordiaux qui l'unissaient naguère à Mme du Puy du Fou, dont elle prenait si volontiers les avis pour élever sa petite-fille Marie-Blanche, l'épistolière, aveuglée par l'intérêt qu'elle prend dans la querelle, n'a aucun mot de sympathie pour plaindre la ruine des Bellièvre. Tallemant des Réaux parle de " cet imbécile de Grignon (aujourd'hui M. de Bellièvre) " à propos de Pierre de Bellièvre, qui avait en effet le titre de marquis de Grignon. L'accusation de bêtise portée contre lui par la marquise n'était donc pas chose nouvelle. Mais elle ne la retient que depuis que sa banqueroute tourne au détriment de sa fille... Il suffit d'être de ses adversaires pour devenir des fripons ou des sots.
Sept ans pour être mis hors de cause
Cependant, après un bref espoir d'obtenir la ratification attendue grâce à l'entremise de Mme de Puisieux, grand-tante de Mme de Mirepoix, Mme de Sévigné, qui avait retardé pour cela de quelques jours son départ en Bretagne, dut se rendre à l'évidence : il faudrait plaider. Ses amis le lui confirmèrent bientôt tandis qu'elle était aux Rochers : " On me mande de tous côtés que M. de Mirepoix est fort désabusé de la contrainte de tenir sa parole, et que nous n'aurons la ratification qu'à la pointe de l'épée." De son château des Rochers, en effet, l'épistolière ne perdait pas l'affaire de vue ; elle aurait même voulu rentrer à Paris pour s'en occuper dès l'ouverture du Palais, à la Saint-Martin, ou du moins aussitôt après Noël.
Ses propres affaires l'en ayant empêchée, elle fixa son retour au début du carême de 1676 pour aller plaider " comme la comtesse de Pimbêche ". Malgré la grave crise de rhumatisme dont elle souffrit alors, elle ne retarda qu'à peine son départ, puisqu'au tout début d'avril, elle est à Paris et, dès le 8, déjà entrée en campagne : " Nous attendons, écrit-elle, un avis de Rousseau pour solliciter, car, après tant de repos, je serai fort en état de vous servir. " Elle voulait " confondre le Mirepoix avant quinze jours ". Elle y parvint, puisque le 29 avril 1676, il était condamné à fournir, dûment ratifiée, la transaction du 13 juillet 1675. Mme de Sévigné pouvait partir tranquille se soigner à Vichy.
De nouvelles peines
Il restait cependant à obtenir l'application du jugement, ce qui n'alla pas sans de nouvelles peines. Le 16 octobre, la marquise croit atteindre le but : " Mme de Mirepoix m'a fait dire par Bontemps qu'elle veut rectifier la conduite de son mari - elle veut ratifier. Il ne faut point perdre de si bons moments. Je la fus voir hier, et sa mère et Sanzei. Il faut qu'elle renonce au pacte, c'est-à-dire à toutes les infamies que fit son Mirepoix après qu'il eut signé la transaction. Ce sont des affaires que de finir avec ces gens-là, et l'on ne doit pas les quitter d'un pas. " On peut douter de la bonne foi - ou de l'intelligence - de Mme de Mirepoix, promettant une ratification qu'elle avait signée dès le 29 août 1675. Pas plus qu'alors, elle ne pouvait passer outre à l'opposition de son mari, qui refusait toujours de la produire. Il interjeta en effet appel du jugement du 29 avril 1676, et il fallut une nouvelle sentence, en mars 1677, pour qu'il s'exécutât le 29, déclarant enfin qu'il " n'empêche que la dame Madeleine du Puy du Fou, son épouse, retire la ratification " demeurée jusque-là à Mirepoix. Au bout de sept ans, le comte de Grignan avait enfin obtenu gain de cause.
Quand trente mille livres en coûtent quarante-cinq
Mais il n'était pas libéré pour autant de toute obligation envers les héritiers de la dot de Marie-Angélique. Depuis 1669, il devait toujours 29 622 livres, ces " dix mille écus " dont Mme de Sévigné aurait voulu que Mme du Puy du Fou fît grâce à son gendre si Mirepoix refusait de donner la ratification. Par suite de la donation qu'elle avait faite le 12 juillet 1675 à sa fille Madeleine, et conformément aux termes de la transaction du lendemain, 9 622 livres étaient désormais dues à Mirepoix et 20 000 à sa belle-mère. La première créance fut cédée par le duc à Bernard de Tongas dès le 21 avril 1677, qui la transporta lui-même le 7 avril 1678, en s'en réservant les intérêts, à " Gabriel Bizet, chevalier seigneur de la Baroire, conseiller du roi, président de sa cour de Parlement ".
C'est à cette affaire et à ce personnage que Mme de Sévigné fait allusion le 23 février 1680 : " Il faut, dit-elle, tenir [votre pension] prête pour payer ce diantre de M. de Labaroir [sic], à qui elle est destinée ", et encore le 14 juillet, quand elle demande de laisser " les huit mille francs [...] complets " pour que " Rousseau les mît aux gabelles pour produire de l'intérêt, en attendant que ce vilain Labaroire ait achevé ses procédures ". Des contestations qui s'étaient élevées entre les créanciers de Mirepoix empêchèrent en effet Grignan de verser les 8 000 livres, qu'il avait mobilisées à cet effet, jusqu'au 12 octobre, où une sentence du Châtelet l'autorisa à payer La Baroire avec le consentement de B. de Tongas dont il était cessionnaire. Le 23 avril 1681, il versa à B. de Tongas, comme créancier des Mirepoix, 1 622 livres à valoir sur le reste du capital dû, et 2 178 à valoir sur les intérêts impayés depuis 1670, puis le 25 mai 1683, 3 562 livres pour le reste de ces intérêts. Depuis l'accord de 1669 jusqu'aux derniers paiements, il avait versé 15 562 livres, avec les intérêts. Comme il avait emprunté 7 562 livres pour les remboursements d'avril 1681 et de mai 1683, au bout de quatorze ans et malgré un paiement de 8 000 livres pris sur ses appointements, il ne se trouvait déchargé que de 3 000 livres.
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