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Des lettres de 1673
Ces trois lettres, jusqu'alors inédites, sont entièrement autographes. La signature suffirait à les authentifier, mais on reconnaît sans peine l'écriture de l'abbé de Coulanges, petite et régulière avec des fins de mots très souvent abrégées : grâce à la finesse de cette écriture, toutes les lettres, même la seconde, sont contenues sur le recto d'un seul feuillet, le verso étant réservé à l'adresse, également autographe. Près d'elle, et de la même écriture, se trouve la date, répétée en outre pour la lettre du 31 mars à 1'intérieur de la lettre même, sous la forme : " Ce dernier mars. " On voit que l'abbé de Coulanges était un homme d'ordre. Il n'a point cru pourtant devoir inscrire l'année, ne pensant pas écrire pour la postérité. Il s'agit de 1673. En effet, dans une lettre du 27 juillet 1672, de Lyon, Mme de Sévigné annonce son arrivée et celle de son oncle : " Je serai samedi à une heure après midi à Robinet. [...]. Notre cher abbé se porte bien : c'est à lui que vous devez adresser tous vos compliments. " Il repartira le 5 octobre 1673 avec sa nièce qui, dans une lettre du 6, le montre occupé des " beaux yeux de sa cassette " et ne songeant guère à lui rendre agréable le triste voyage du retour.
On ne saurait placer ces lettres dans un voyage antérieur : Mme de Grignan n'était partie pour la Provence qu'en février 1671, et cette visite est la première que lui rendirent sa mère et son oncle, qui avaient dû d'abord dû se rendre en Bretagne pour leurs affaires, puis demeurer à Paris jusqu'à la mort de la soeur de l'abbé, Mme de La Trousse. Le " Bien Bon " ne retournera plus en Provence. En 1677, il entravera le projet que sa nièce avait formé de s'y rendre depuis Vichy. Il " trouve tant de méchantes raisons pour ne pas faire ce voyage, explique-t-elle à sa fille le 15 août, que je n'espère pas de le voir changer ". La Marquise elle-même ne retourna en Provence qu'en octobre 1690, après la mort de son oncle survenue en août 1687. Écrites pendant l'unique séjour de l'abbé de Coulanges en Provence, entre juillet 1672 et octobre 1673, datées de mars et avril, ces lettres ne peuvent être que de l'année 1673.
La paix ou la guerre ?
Mais pourquoi parlent-elles de " l'état incertain où on [...] est sur la paix ou la guerre " ? Celle-ci est déclarée depuis le 6 avril 1672, et de telles hésitations sembleraient plutôt convenir au début de 1672. Mme de Sévigné s'en est fait précisément l'écho en ce temps-là. En fait, dès juin suivant, après l'invasion de la Hollande, on avait pensé qu'un accord serait bientôt conclu, et l'on avait gardé cet espoir malgré les exigences de Louvois, qui avaient fait échouer les premières négociations, puis la prise du pouvoir par Guillaume d'Orange, qui organisa la résistance. L'échec des ennemis dans leur tentative de prendre Charleroi avait renforcé l'espérance qu'ils demanderaient la paix. Une lettre d'un Provençal nommé Blanc, adressée de Paris le 6 janvier 1673 à Thomassin de Mazaugues, futur président au parlement d'Aix, résume en peu de mots l'état des esprits à ce moment-là : " On parle fort de la paix. On dit qu'elle sera traitée à Dunkerque, mais on croit fort la guerre avec l'Espagne. " Le 6 mai, le même épistolier annonce à son correspondant que l'on a chassé " la Molina et les autres damoiselles espagnoles de la reine ", puis il ajoute : " On parle fort de la guerre contre l'Espagne. " Au début de 1673, on hésitait entre la conclusion de la paix et l'extension de la guerre. D'où les incertitudes dont parle l'abbé.
Les lettres de Blanc confirment qu'on est bien en 1673 par ce qu'elles disent d'un voyage du comte à Paris. Le 6 mars, on 1'attend ; le 8 mai son départ est prochain : " M. de Grignan s'en ira dans quelques jours " avec le Coadjuteur son frère, car ils " s'en iront ensemble en Provence ou ils ont bien de passion d'arriver ". Le comte ne partira qu'un peu plus tard, puisqu'il n'arrivera qu'en juin, le 6 à Orgon et le 7 à Aix. Ce témoignage d'un Provençal précise celui de Mme de Coulanges qui, dans une lettre du 20 mars, raconte avoir vu à la cour M. de Grignan, " point du tout rouillé en province ". Elle s'y inquiète aussi de la naissance prochaine à Aix d'un enfant de Mme de Grignan. Tout concorde donc pour placer les lettres du " Bien Bon " en 1673. Un détail choque : 1'abbé de Coulanges indique qu'on partira en voyage le mardi 12 alors qu'il ne peut s'agir cette année-là que d'un mercredi 12. C'est un lapsus de sa part, puisqu'il n'est venu en Provence qu'en 1672 et 1673.
Ainsi replacées à leur date, ces trois lettres forment un ensemble : elles s'adressent d'un même lieu, à un même destinataire, dans le même temps. Pâques étant, cette année-là, le 2 avril, les deux lettres de mars ont été écrites pendant la fin du carême, le Vendredi Saint très précisément pour la seconde. Si Greffet n'a plus donné signe de vie, c'est qu'il a voulu " oublier tous [ses] amis en ce saint temps " et " retrancher tout commerce, du moins avec le beau monde " pour faire " retraite ". Explication à demi ironique, semble-t-il, puisque l'abbé transmet, d'autre part, à son correspondant l'invitation fort irrévérencieuse de Mme de Sévigné à " sortir de [sa] tanière ". Car on compte sur sa compagnie pour les voyages projetés.
Portrait de l'abbé de Coulanges
L'abbé de Coulanges se montre tel qu'on le connaît par sa nièce, non pas abbé de cour à proprement parler, mais plus occupé cependant du monde que de l'Église, aimant mieux écrire que réciter son bréviaire, s'occuper de la santé ou des affaires de sa famille que de son salut éternel, projeter quelque voyage, fût-ce un pèlerinage, que méditer sur les offices de la semaine sainte. L'heure n'est pas encore venue où, " sur le point de comparaître devant ce terrible et souverain tribunal de [son] Dieu ", le 18 janvier 1686, dans son testament, il jugera sévèrement la vie qu'il a menée, trop absorbée par des intérêts profanes : " Après toutefois avoir remis mon âme entre les mains de mon Dieu et l'abandonnement que j'en fais à sa grande miséricorde, [je] lui demande très humblement pardon de l'abus excessif que j'ai fait de ses grâces, après m'avoir reçu dans le sein de son Église catholique, apostolique et romaine préférable[men]t à tant d'autres qu'il a laissés, et qui plus est admis dans son sanctuaire, que je reconnais avec douleur et confusion avoir déshonoré et profané la sainteté [sic] par une vie trop détournée des emplois auxquelles elle devait être uniquement consacrée pour son honneur et sa gloire. "
En 1673, les pensées ne sont pas si graves. Il s'agit de distraire " tout ce qui reste au Palais après le départ de M. le comte ". Celui-ci avait gagné Paris pour y prendre les ordres du Roi et n'en revint qu'en juin. La comtesse eut donc largement " le loisir de se remettre de sa couche et de reprendre toutes ses forces ". Point question cependant d'aller à Paris le " requérir ", comme le souhaitait Mme de Sévigné, qui avait formé le projet de rentrer dans la capitale en compagnie de sa fille. Les espérances de paix se sont éloignées, et en temps de guerre, le comte doit résider dans son gouvernement. Le Roi le chargera même, en septembre, de conquérir Orange. Contre l'avis de sa mère, Mme de Grignan tiendra à demeurer en Provence avec lui.
Le palais des comtes de Provence
Pour le moment, Mme de Sévigné attendait les nouvelles de la cour près de sa fille, à Aix, dans ce " palais ", qui avait autrefois logé les comtes de Provence. Roux-Alphéran a décrit ce majestueux édifice dont une grande partie, selon lui, était l'ouvrage des Romains et aurait même remonté à l'époque de Marius. Vénérable par son antiquité, parmi bien d'autres titres de gloire, il avait vu jadis naître un fils de saint Louis et de la reine Marguerite, Tristan. Au XVIIIe siècle, ce vaste bâtiment abritait les Cours souveraines de Provence, et ce furent elles qui, lasses de loger dans un édifice qui leur paraissait trop " gothique ", en décidèrent plus tard la destruction, en 1775. Un " quartier " du palais était réservé à l'habitation des gouverneurs, celui dont la façade, exposée au midi, donnait sur la rue des Gantiers. De là, on apercevait la place des Prêcheurs où se colportaient les fausses nouvelles et les médisances que Mme de Sévigné conseille tant de fois à sa fille de ne pas croire.
En l'absence du gouverneur, le lieutenant général qui le suppléait y logea pendant près d'un demi-siècle : " Le comte de Grignan habita pendant de longues années ce quartier du Palais, avec sa femme, l'aimable fille de l'illustre Mme de Sévigné, écrit Roux-Alphéran, et lorsque cette dernière vint en Provence, c'est auprès de sa fille qu'elle logea pendant tout l'hiver de 1672-1673. On ne connaît aucune des lettres qu'elle dut écrire à ses amis pendant son séjour à Aix. " À vrai dire, on en connaît une, écrite à son ami Arnaud, le 11 décembre 1672. Elle n'y donne aucun détail sur son séjour en Provence, ni sur les gens qu'elle y a rencontrés.
Parmi les hôtes du palais se trouvait le général Greffet, auquel l'abbé de Coulanges écrit si familièrement " des détails dignes de M. Chais et de Mme Robinet ", comme disait Mme de Sévigné à propos du Coadjuteur qui lui avait raconté la naissance de Louis-Provence. C'était l'un des trésoriers généraux en la Cour des Comptes de la généralité de Provence. Succédant à son père, Étienne, reçu en cet office le 1er mars 1631, Louis de Greffet était en fonction depuis le 27 janvier 1650 ; il céda son office à son neveu, Paul de Félix Greffet de la Ferratière, le 25 juin 1687, et mourut le 11 juin 1689. Une Clotilde-Adélaïde de Félix Greffet, sans doute fille de Paul, épousa au XVIIIe siècle, Jean-Claude de Palamède, marquis de Forbin-Gardanne, ce qui explique la présence des lettres du " Bien Bon " à leur aïeul Greffet dans les archives de la maison de Forbin.
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