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"J'ai été en Provence me promener. J'ai passé l'hiver à Aix avec ma fille. Elle a pensé mourir en accouchant, et moi de la voir accoucher si malheureusement " : ce bilan d'une année, que Mme de Sévigné adresse le 15 juillet 1673 à son cousin Bussy, paraît un peu rapide. Sans doute l'essentiel est-il dit : les promenades à travers des paysages inconnus et le séjour à Aix, grâce auxquels désormais une lointaine province ne sera plus un lieu imaginaire. Ou bien, il se devine : seule donne un sens à ces voyages et à ce séjour celle qui a d'autant plus éclipsé tout le reste qu'elle a failli mourir, la " pensée habituelle " d'une mère inquiète, Mme de Grignan. On aimerait pourtant connaître mieux cette année passée en Provence... Peu de lettres subsistent, et elles ne contentent guère notre curiosité. Où donc Mme de Sévigné est-elle allée se promener ? L'inquiétude éprouvée lors de l'accouchement de Mme de Grignan fut-elle justifiée, ou la conséquence inévitable de sentiments maternels excessifs ? Une bonne fortune nous a fait connaître trois lettres de l'abbé de Coulanges qui permettent de répondre à ces questions.
Trois lettres inédites
1. [Suscription] : A M. le général Greffet à Marseille. 24 mars.
Je vois bien, Monsieur, que si l'on ne vous demande de vos nouvelles que vous ne nous en donnerez point. Est-ce que vous voulez oublier tous vos amis dans ce s[ain]t temps et q[ue] vous vous êtes prescrit des règles si étroites dans votre retraite que vous souhaiteriez qu'ils ne songeassent pas à vous ? Cela ne peut pas pourtant être ainsi ; l'on vous chérit trop pour ne vous pas désirer, et avez-vous compté p[ou]r rien tout ce qui reste au Palais après le départ de M. le comte. Il est arrivé à la cour en très bonne santé et y a été parfaitem[en]t bien reçu de son maître : c'est tout ce que nous en savons encore. Mais revenez, Monsieur, p[ou]r en apprendre la suite ; je vous le pardonnerai encore jusq[u]e au lendemain de Pâques. Après cela, si vous ne venez, je vous irai chercher, et vous ramènerai.
Voilà q[ue] l'on m'interrompt, et M. de Porchères qui vous doit rendre celle-ci, veut partir. Il faut pourt[an]t q[ue] je m'acquitte du compliment de nos dames qui ne souhaitent pas moins votre retour ici que votre très humble et très passionné serviteur,
l'abbé de Coulanges.
2. [Suscription] : A M. le général Greffet à Marseille. 31 mars.
Ce dern[ie]r mars.
Je vois bien, Monsieur, que vous êtes fort rigide dans votre retraite et que vous en avez retranché tout commerce, du moins avec le beau monde, car p[ou]r peu que vous en eussiez eu, vous auriez su que Mad[am]e la comtesse, après avoir été près de deux jours dans les douleurs de l'enfantement, enfin lundi dern[ie]r, sur les trois heures après minuit, elle se trouva dans le plus grand péril de la vie où une femme puisse être de la manière dont son enfant se présenta, qui fut par le ventre et le nombril : jugez de là, mon cher monsieur, de quel secours elle n'eut point de besoin, et de la part de Dieu pour lui donner de la force et du courage, et de la part de la personne qui la délivra p[ou]r la fair[e] accoucher heureusement de son enfant, c'est-à-dire pour elle, car son pauvre enfant, qui était un garçon très bien fait, gros et puissant, vint si faible et com[me] étouffé, à ce que l'on dit, dans ses eaux, qu'il n'apporta de vie en ce monde q[ue] p[ou]r y être ondoyé et p[ou]r en fair[e] échange aussitôt pour la bienheureuse dans le ciel. Depuis, Mad[am]e la comtesse s'est portée de bien en mieux sans aucun accident ni apparence qu'il en survienne. Elle m'a prié de vous dire qu'elle vous est obligée de vos inquiétudes p[ou]r elle, et qu'elle sera ravie de vous revoir bientôt com[me] nous l'espérons ; n'en avez vous pas reçu un petit reproche, q[ue] je vous ai fait ces jours passés de cette longue absence ? et qu'il nous paraît que sans M[onsieu]r le comte, nous sommes peu de chose p[ou]r vous. Il est à la cour très agréable[men]t. L'état incertain où on y est sur la paix ou la guerre fait qu'on ne peut encore juger de son retour, mais je crois qu'il laisse à Mad[am]e la comtesse le loisir de se bien remettre de sa couche et de reprendre toutes ses forces q[ue] nous pourrons bien l'aller requérir. Je vous prie de nous f[ai]re savoir des nouvelles des fêtes du départ des galères, et du jour au plus près qu'elles se mettront en mer, parce que je serais bien aise de prendre là-dessus quelq[ues] mesures p[ou]r aller à Marignane et aux Martigues, dont vous serez si vous voulez avec un chev[alier] de Paule, dont je ne doute point si vous me faites l'honneur de m'aimer autant que je le crois.
Madame de Sévigné m'a ordonné de vous fair[e] ses compliments et de vous inviter à sortir de votre tanière. Votre très obéissant serviteur,
l'abbé de Coulanges.
M. Joubert, excellent chirurgien d'Apt, envoyé par Mad[am]e de Buous qui a sauvé la vie à Madame la comtesse. Il mérite qu'on le sache après une aussi grande opération que celle-là.
3. [Suscription] : A M. le général Greffet à Marseille. Le 6 avril.
Je suis bien surpris, mon cher Monsieur, que le s[ieu]r de Porchères a qui je donnai moi-même la lettre que je vous écrivis vous l'ait gardée si fidèle[men]t pendant huit jours dur[an]t. Le silence q[ue] vous gardiez depuis si longtemps m'en fit vous fair[e] un reproche ; l'accident de Mad[am]e la Comtesse n'arriva que trois jours après, mais com[me] elle se porte très bien après un aussi grand danger que celui qu'elle a couru, nous n'avons qu'à en louer Dieu et nous en réjouir ; je lui ai fait vos compliments et à Mad[am]e de Sévigné, qui ont été reçus très agréable[ment], et vous en remercient de tout le[u]r coeur, avec un désir qu'elles ont de vous voir de retour. Je profiterai de l'avis q[ue] vous me donnez du départ des galères. Mad[am]e de Sévigné sera de cette partie et de là, nous irons à la S[ain]te Baume et à Saint-Maximin, voilà nos desseins. Vous me mandez que vous êtes enrhumé. En échange, je vous dirai qu'une petite fièvre continue me saisit samedi dern[ie]r à l'issue du service, dont je ne suis pas encore bien quitte ; j'en fus hier saigné, et demain l'on me purge. J'espère qu'il y aura assez de temps pour mettre ma santé en état de faire le voyage que nous proposons entre ci et mardi, qui est le 12. Travaillez cependa[n]t de votre côté à en fair[e] de même, et soyez persuadé que personne au monde n'est plus sincèrem[en]t et de tout son coeur tout à vous et votre très obéissant servite[u]r que
l'abbé de Coulanges.
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