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À l'automne 1695, on avait fixé au mois de mars le retour de la comtesse et de sa mère à Paris. Elles évitaient ainsi un voyage en plein hiver et un séjour en Provence au printemps, si fatidique selon Helvétius. Mars arrive, et Françoise n'est pas en état de partir. À la peine que son état fait à sa mère s'ajoute l'impossibilité de lui permettre de retrouver Carnavalet, ses habitudes de vie et ses amies. L'échéance, comme celle de mai autrefois, bouleverse Mme de Grignan et accroît les inquiétudes mutuelles des deux femmes. Aucun enfant n'est là pour divertir la malade de ses peines. Tête à tête, dans le château morne et glacé, mère et fille se consument l'une l'autre. La pensée de la mort ne quitte plus Mme de Sévigné. A force de la craindre pour la bien-aimée, elle se laisse emporter par elle. "Excédée de soins et de fatigues, atteste Perrin, son premier éditeur officiel, elle tomba malade le 6 avril 1696 d'une fièvre continue qui l'emporta le 18 à l'âge de soixante-dix ans et deux mois."
On n'a rien imaginé de pire contre Mme de Grignan que de lui reprocher de ne s'être pas dérangée pour assister sa mère dans cette extrémité. Heureusement un récent biographe de Mme de Sévigné justifie la comtesse en démontrant magistralement la volonté de la marquise de consacrer à Dieu ses derniers moments suivant l'exemple de ses amis jansénistes, elle souhaite ne songer qu'à elle-même au moment de comparaître devant le Seigneur. Quelle meilleure preuve de foi que le refus au lit de mort des personnes les plus aimées? "Faisant à Dieu le sacrifice de sa vie, écrit Perrin, elle lui a fait encore celui de sa tendresse même." Françoise s'est donc écartée de sa mère mourante à partir du cinquième jour de sa maladie, non parce qu'elle était elle-même trop malade, ni parce qu'elle craignait la contagion d'une imaginaire petite vérole, mais sur la volonté de sa mère qui, ce cinquième jour, fit demander et reçut les derniers sacrements.
Le chroniqueur Dangeau écrit le 26 avril qu'on a voulu cacher à Mme de Grignan la mort de la marquise. Il n'invente pas, comme on va voulu le faire croire méchamment, une excuse pour justifier son absence au chevet maternel. Sa réaction est plus simple : il pense qu'on lui a caché la triste nouvelle, parce qu'on craint l'effet déplorable qu'elle aura sur elle, et qu'on sait partout son exceptionnelle tendresse filiale. Le comte, dans une lettre à Moulceau, un ami de la marquise, dit à merveille sa douleur ("ce n'est pas seulement une belle-mère que je perds, c'est une amie tendre et solide, une société délicieuse"), atteste sa force d'âme et, au moment de mourir, son sacrifice à Dieu de tout ce "pour qui elle était si tendre et si faible". Dans cette lettre et dans une autre à Pomponne, moins connue, il parle aussi avec sobriété de la naturelle douleur qui saisit les proches de Mme de Sévigné "et surtout celles qui ont pu connaître dans les dernières journées de sa vie toute l'étendue de son mérite et de sa solide vertu". Sa femme lui paraît si évidemment touchée qu'il n'en fait pas une mention particulière.
Jacqueline Duchêne
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